L’autocompassion
Dans le tourbillon de la vie quotidienne, beaucoup d’entre nous avancent en se fixant des exigences élevées, parfois inatteignables. Nous sommes prompts à nous juger, à nous critiquer, à nous répéter intérieurement que nous aurions dû « faire mieux », « être plus fort », « ne pas craquer ». Pourtant, lorsque quelqu’un que nous aimons traverse une difficulté, nous sommes capables d’une douceur et d’une compréhension infiniment plus grandes que celles que nous nous accordons.
L’autocompassion invite à un retournement : oser s’offrir à soi-même la bienveillance que l’on réserve spontanément aux autres. Non pas par complaisance, non pas pour se déresponsabiliser, mais pour reconnaître que la souffrance fait partie de l’expérience humaine et qu’elle mérite d’être accueillie, pas combattue.
Dans cet article, je vous propose d’explorer ce concept, trop souvent méconnu, mais pourtant essentiel au mieux-être psychique.
Autocompassion et Estime de Soi : Est-ce différent ?
Lorsque nous vivons, c’est une situation difficile, nous avons tendance à nous blâmer. L’autocompassion est un mécanisme clé qui renforce la résilience émotionnelle et nous permet de rebondir face à un échec.
L’autocompassion est différente de l’estime de soi.
L’estime de soi peut être définie comme une évaluation globale de la valeur de soi. Elle est souvent basée sur des comparaisons avec les autres et est souvent conditionnée par nos succès ou nos échecs.
L’autocompassion n’implique pas le bien ou le mal, mais simplement de se comporter avec bienveillance envers soi-même. Surtout en cas d’échec. Elle n’utilise donc pas la comparaison sociale.
Qu’est-ce que l’autocompassion ?
Le mot peut surprendre, voire déranger. Il évoque parfois la pitié ou la faiblesse. Pourtant, la compassion n’a rien à voir avec la complaisance. Elle consiste à reconnaître qu’une souffrance existe et qu’elle mérite une réponse douce, juste et constructive.
L’autocompassion, c’est se dire intérieurement :
« Ce que je vis est difficile. J’ai le droit d’avoir mal. Je peux être doux avec moi, comme je le serais avec quelqu’un que j’aime. »
Elle s’articule autour de trois dimensions :
1. La bienveillance envers soi-même
Plutôt que de s’auto-flageller lorsque l’on échoue ou que l’on souffre, on choisit de s’offrir des mots réconfortants. C’est l’équivalent psychique d’une main posée sur une épaule.
2. La reconnaissance de l’humanité partagée
Ce que nous ressentons n’est pas un signe d’anormalité, mais une expérience universelle. Nous ne sommes pas seuls à vivre des moments d’angoisse, de culpabilité, de fatigue ou de fragilité.
3. La pleine conscience de ce qui se passe en soi
Plutôt que de repousser, minimiser ou amplifier nos émotions, nous apprenons à simplement les observer, avec curiosité et douceur.
Pourquoi sommes-nous si durs avec nous-mêmes ?
Nos auto-exigences trouvent souvent leurs racines dans une éducation que nous aurions reçue et qui valorisait la performance avant le vécu émotionnel, mais aussi dans l’idée qu’il faut « tenir » et ne pas montrer de faiblesse, ou encore dans la peur du jugement ou enfin dans la croyance que la sévérité est un moteur pour s’améliorer.
Beaucoup grandissent avec l’idée implicite que si l’on est dur avec soi, on deviendra meilleur.
Pourtant, toutes les recherches dans le domaine de la psychologie montrent que c’est l’inverse : la sévérité intérieure nourrit l’évitement, l’anxiété, la honte ou la procrastination.
La douceur, elle, favorise l’engagement, la motivation authentique et la résilience.
L’autocompassion ≠ complaisance : quelques repères
- Il est important de souligner que l’autocompassion n’est pas :
- → Un abandon de ses responsabilités
- → Une excuse pour ne rien faire
- → Une manière de se victimiser
- → Un moyen de nier les difficultés
- Au contraire, être compatissant envers soi-même permet de :
- → Regarder les choses en face
- → Reconnaître ses besoins réels
- → Agir depuis un espace apaisé, et non depuis la peur ou la honte
- → Trouver des solutions plus adaptées
La douceur n’est pas la fragilité.
La douceur est la condition de la solidité intérieure.
Comment cultiver l’autocompassion dans son quotidien ?
L’autocompassion n’est pas un trait de caractère inné. C’est une compétence psychique que l’on peut développer, comme un muscle que l’on entraîne.
Voici quelques repères que j’utilise souvent en consultation :
→ Observer son discours intérieur
Nos mots façonnent notre monde intérieur. On peut commencer par remarquer la manière dont on se parle:
• Est-ce que je me critique ?
• Est-ce que je me juge ?
• Est-ce que je me maltraite psychiquement ?
Noter cela sans se juger (justement) est déjà un pas vers l’apaisement.
→ Se poser la question : « Que dirais-je à un ami ? »
C’est un petit exercice très pertinent.
Lorsque vous vivez une difficulté, demandez-vous :
« Si quelqu’un que j’aime profondément vivait cela, que lui dirais-je ? »
La réponse contient souvent la douceur que vous avez du mal à vous accorder.
→ Placer la main sur son torse ou sur son ventre
Ce geste, simple mais profondément apaisant, active la sécurité intérieure.
Il rappelle au corps, avant même l’esprit, qu’il n’est pas seul.
→ Valider son expérience émotionnelle
Plutôt que « Je ne devrais pas ressentir ça », essayer :
« Ce que je ressens est compréhensible au vu de ce que je traverse. »
Cette phrase ouvre un espace de reconnaissance et d’apaisement.
→ Se reposer réellement
L’autocompassion passe par l’écoute des limites : fatigue, surcharge, saturation.
S’autoriser à ralentir, à dire non, à prendre du recul, fait partie d’une hygiène psychique fondamentale.
→ Se dire des mots gentils
J’encourage très régulièrement mes patients à se dire des mots gentils, devant le miroir, du style « Tu vas y arriver ! », « Crois en toi », « tu vas tout déchirer ».
Ceci peut paraître simpliste, mais en réalité cette « technique » est soutenue par des mécanismes psychologiques profonds.
Les messages bienveillants que nous pouvons nous adresser servent à déprogrammer un discours négatif automatique et à introduire une alternative plus soutenante.
Ce type de mots que nous nous adressons renforce les représentations internes associées à la réussite et à la compétence (on parle de l’augmentation du sentiment d’auto-efficacité (c’est un chercheur en psychologie sociale, Albert Bandura, qui a pu démontrer cela).
De la même façon, se dire des mots gentils développe notre capacité à nous apaiser, autrement dit à se soutenir soi-même pendant les moments difficiles.
Enfin, on sait que le cerveau enregistre plus facilement le négatif que le positif. Répéter des affirmations bienveillantes agit donc comme un contrepoids intentionnel. Cela permet un rééquilibrage cognitif et émotionnel.
Les effets transformateurs de l’autocompassion
Les personnes qui développent l’autocompassion rapportent souvent :
- > Une diminution du stress et de l’anxiété
- > Une plus grande tolérance à l’imperfection
- > Une amélioration de l’estime de soi
- > Une capacité accrue à affronter les défis
- > Un sentiment intérieur de chaleur et de sécurité
- > Une relation plus douce avec leurs émotions
L’autocompassion n’efface pas la souffrance.
Elle change la manière dont nous la traversons.
Elle permet véritablement de passer d’un rapport de dureté à un rapport d’accueil et cet accueil transforme profondément notre manière de vivre nos fragilités.
Les recherches montrent que les personnes autocompatissantes ont moins peur de l’échec et sont plus enclines à persister dans leurs efforts après avoir échoué.
Accepter d’être humain : la clé de l’apaisement
Il n’y a rien de plus humain que de se tromper, d’avoir peur, d’être dépassé, de s’angoisser, de douter, de s’attacher, de perdre, de recommencer.
L’autocompassion rappelle que nous n’avons pas à être parfaits, mais simplement à être en relation sincère avec nous-mêmes.
Être doux avec soi n’est pas un luxe, c’est une nécessité mentale, émotionnelle et relationnelle.
Un mot pour conclure
Si j’insiste souvent auprès de mes patients sur l’importance d’être gentils avec eux-mêmes, ce n’est pas pour minimiser leurs difficultés, mais parce que la dureté intérieure ne les aide pas à avancer.
La douceur, elle, soutient, enveloppe et ouvre des espaces de liberté.
L’autocompassion n’efface pas les tempêtes, mais elle offre un abri.
Et parfois, c’est tout ce dont nous avons besoin pour continuer à marcher.


