Transformer la souffrance :
un chemin possible
« Ce n’est pas la souffrance qui nous grandit mais ce que nous en faisons. »
Alexandre Jollien
Citation que l’on retrouve dans sa chronique Pharmacopée n°12 accessible sur son site web.
La souffrance fait partie intégrante de l’existence humaine. Elle est inévitable, multiforme, parfois fulgurante, parfois insidieuse. Il peut s’agir d’une perte, d’un traumatisme, d’une rupture, d’un échec, ou encore d’une douleur intérieure difficile à nommer. Et pourtant, tous ne réagissent pas à la souffrance de la même manière.
La citation d’Alexandre Jollien :
« Ce n’est pas la souffrance qui nous grandit, mais ce que nous en faisons » nous invite à dépasser une idée reçue : celle que la souffrance serait, par nature, une expérience qui nous rendrait meilleurs, plus profonds ou plus sages. Ce n’est pas la douleur elle-même qui transforme. Ce qui nous fait grandir, c’est ce que nous mettons en œuvre à partir de ce vécu.
La souffrance comme expérience brute
D’un point de vue clinique, la souffrance ne contient pas en elle-même une valeur formatrice. Elle peut au contraire être paralysante, envahissante, voire destructrice. Lorsqu’elle est niée ou refoulée, elle risque de s’installer durablement, sous forme de symptômes, de repli, ou d’un sentiment diffus de vide et d’impuissance.
La souffrance peut aussi être répétitive, alimentée par des schémas internes, des traumatismes non digérés ou des croyances rigides. Dans ces cas, elle enferme davantage qu’elle ne libère.
Il est donc essentiel de faire la distinction entre subir une souffrance et travailler à partir d’elle.
Ce que signifie « faire quelque chose » de sa souffrance
« Faire quelque chose » ne veut pas dire l’effacer ou la surmonter de force. Il s’agit d’un processus subjectif, souvent long, qui consiste à transformer le rapport que l’on entretient avec son vécu.
En thérapie, cela peut passer par plusieurs étapes :
- Nommer la souffrance : poser des mots, reconnaître les affects, sortir du flou ou du non-dit.
- Comprendre ce qui se rejoue ou ce qui est en jeu dans cette douleur : identifier les liens avec l’histoire personnelle, les enjeux relationnels, les attentes ou les pertes.
- Accueillir sans juger : accepter sa vulnérabilité, sa tristesse, sa colère ou son impuissance comme des états légitimes, humains.
- Se réapproprier un pouvoir d’agir : même minime. Cela peut être une décision intérieure, un changement de posture, un choix relationnel, ou simplement l’acte de demander de l’aide.
- Donner du sens, mais un sens personnel, non imposé de l’extérieur. Il ne s’agit pas de “positiver à tout prix”, mais de trouver comment ce vécu peut s’inscrire dans un chemin de transformation.
Accompagner sans idéaliser
Dans l’accompagnement psychothérapeutique, cette citation rappelle l’importance d’une posture clinique équilibrée : ni minimisation de la souffrance, ni glorification de celle-ci. La souffrance ne doit pas être un passage obligé vers une prétendue « sagesse ». Il est dangereux de laisser croire qu’elle est automatiquement « formatrice ». Elle ne l’est que si la personne peut en faire quelque chose et cela, elle ne peut le faire que si elle est soutenue, écoutée, accompagnée dans un cadre sécurisant.
Ce processus peut parfois se traduire par des changements concrets dans la vie du patient, mais il peut aussi rester intérieur : un changement de regard, un déplacement symbolique, une forme d’acceptation. L’enjeu est de permettre à la personne de redevenir sujet de ce qu’elle vit, et non objet de sa douleur.
Quelques repères cliniques
Dans l’espace thérapeutique, il est possible de repérer certains leviers de transformation :
- Le récit : pouvoir raconter son histoire différemment, depuis un autre point de vue.
- La symbolisation : donner une forme, une image, un sens à ce qui semblait informe.
- La relation : vivre un lien sécure et empathique, qui offre une autre expérience que celle de l’isolement ou de la honte.
- La répétition repérée : prendre conscience de la manière dont certaines souffrances se rejouent dans la vie actuelle, parfois à son insu.
- La créativité : certaines personnes transforment leur douleur par l’art, l’engagement, la transmission… Il ne s’agit pas d’une obligation, mais d’un chemin possible.
En conclusion, cette phrase d’Alexandre Jollien nous invite à une posture à la fois lucide et engagée : la souffrance ne porte pas en elle de vertu magique. Elle peut enfermer ou libérer, selon le chemin que chacun peut tracer à partir de ce qu’il vit.
Accompagner quelqu’un dans ce processus, c’est reconnaître sa souffrance sans en faire une identité. C’est créer un espace où cette souffrance peut se transformer, au rythme de la personne, selon ses ressources, ses limites et son histoire.


