Peut-on vraiment comprendre sans avoir vécu le cancer ?

Peut-on vraiment comprendre sans avoir vécu le cancer ?

Réflexions d'une psychologue à l’occasion d’Octobre Rose

Chaque mois d’octobre, la vague rose qui déferle à travers les villes, les réseaux sociaux, les médias et les institutions nous rappelle l’importance de la prévention, du dépistage et du soutien autour du cancer du sein.

C’est un temps de solidarité, de témoignages puissants, de mobilisations sincères. Mais c’est aussi une période où, en tant que psychologue, je suis amenée à entendre, encore plus fréquemment, une phrase qui revient chez certains patients :

« Je ne vois pas l’intérêt de parler à un psychologue. Seul quelqu’un qui a vécu la même chose que moi peut me comprendre. Vous ne pouvez pas comprendre. »

Cette phrase, je la comprends. Elle vient d’un lieu très profond : celui de la souffrance, de la solitude, de l’incompréhension, parfois aussi de la colère ou de la fatigue. Elle traduit une réalité psychique importante : quand on traverse une épreuve aussi bouleversante qu’un cancer, il est naturel de chercher à être compris pleinement, dans sa chair, dans son vécu, sans avoir à tout expliquer.

Mais cette idée mérite d’être examinée, questionnée, et surtout, mise en perspective. Car elle peut, malgré elle, devenir un frein à l’accès à un soutien psychologique pourtant précieux dans cette traversée.

Le besoin d’être compris « de l’intérieur »

 

Face à la maladie, et en particulier au cancer, le sentiment d’isolement est fréquent. Le corps change, les priorités aussi. Le rapport au temps, à la mort, à la féminité ou à la masculinité, à la fatigue, au regard des autres… tout est bouleversé. Ce que l’on vit est si singulier, si intime, que le langage ne semble parfois plus suffire.

 

Dans ce contexte, certains patients se tournent plus facilement vers des personnes qui ont « déjà vécu » un cancer, que ce soit dans le cadre de groupes de parole, de forums, de podcasts ou même dans l’amitié. Et c’est une ressource formidable. L’identification peut être puissante, elle permet de se sentir moins seul(e), de trouver des repères, de mettre des mots sur ce que l’on ressent. Ce type de lien est inestimable.

 

Mais cela ne doit pas occulter une autre forme de soutien, tout aussi essentielle, bien qu’un peu différente : l’accompagnement psychologique.

Comprendre ne veut pas dire « avoir vécu la même chose »

 

Il existe une idée reçue tenace selon laquelle on ne pourrait réellement comprendre quelqu’un que si l’on a vécu exactement la même chose. Pourtant, cette croyance est réductrice. Car elle confond deux types d’expérience : l’expérience vécue et la capacité d’écoute et de compréhension.

 

Un psychologue n’est pas un témoin de la même histoire, mais il est formé, avec rigueur et éthique, à écouter sans jugement, à accueillir ce qui est unique chez chaque patient, à repérer les mouvements psychiques en jeu, à contenir les émotions, à accompagner la souffrance dans toutes ses dimensions, y compris celles qui échappent aux mots.

Un psychologue peut, peut-être, avoir vécu une expérience similaire à la vôtre, mais cela, vous ne le savez pas puisque lorsque l’on consulte un psychologue, ce n’est pas lui qui vous raconte sa vie…

 

Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas là pour comparer nos expériences à la vôtre. Nous sommes là pour vous. Pour faire de la place à ce que vous vivez, dans toute sa complexité, sans chercher à tout rationaliser, ni à tout expliquer.

La neutralité bienveillante : un espace à part

 

Un psychologue offre un espace qui n’existe nulle part ailleurs : un espace où il n’y a pas d’obligation d’aller bien, pas de pression pour positiver, pas d’attente sociale ou familiale. C’est un lieu protégé, où l’on peut dire l’indicible : sa peur de mourir, son ambivalence face aux traitements, son ras-le-bol des injonctions où l’on nous dit qu’il faut être fort/garder le moral pour mieux guérir, sa colère face à la maladie, sa tristesse, son envie parfois d’abandonner.

Et parfois aussi, ses questions existentielles, son rapport à son corps, à sa féminité, à sa virilité, à la sexualité, à l’identité, à la solitude, à l’amour.

Dans cet espace, le psychologue ne sait pas « mieux » que vous ce que vous traversez. Mais il marche à vos côtés, avec humilité, avec attention, avec respect, en vous aidant à mettre du sens là où il n’y en a plus, à retisser des liens intérieurs là où tout semble éclaté.

Et si vous n’êtes pas prêt(e)… c’est OK aussi

 

La démarche d’aller voir un psychologue n’est jamais obligatoire. Elle doit faire sens pour vous, à votre rythme. Il arrive que certains patients ne souhaitent pas ou pas encore entreprendre ce type d’accompagnement, et c’est tout à fait légitime.

 

Mais si l’idée vous effleure, même sans certitude, même avec des doutes, sachez que la porte est ouverte. Vous pouvez venir avec votre réticence, vos hésitations, votre colère même. Il n’y a pas de bon ou de mauvais patient en psychologie. Il n’y a que des personnes, avec leur vécu, leur histoire, leurs ressources et leurs vulnérabilités.

Le cancer est une expérience singulière, mais la souffrance est universelle

 

En tant que psychologue, j’ai accompagné, écouté, soutenu de nombreuses personnes qui ont traversé la douloureuse épreuve du cancer. Je suis donc en mesure d’écouter chaque personne qui vient me rencontrer, dans son individualité, dans ce qu’il ou elle est en dehors du cancer aussi. Car personne n’est réductible à un diagnostic.

 

Ce que j’entends dans les consultations, ce sont des histoires de vie, de résilience, de pertes, de transformations. Ce sont des récits d’avant, de pendant et parfois d’après la maladie. Ce sont des liens à réparer, des choix à faire, des deuils à traverser, des espoirs à raviver. Cela, oui, je peux le comprendre. Non pas avec la même histoire que vous, mais avec un regard professionnel, humain et profondément engagé.

Conclusion : une main tendue, pas un discours imposé

 

Ce texte n’est pas un plaidoyer pour convaincre à tout prix. C’est simplement une main tendue, une invitation à reconsidérer une idée souvent entendue : non, il n’est pas nécessaire d’avoir vécu un cancer pour pouvoir accompagner quelqu’un qui en traverse un.

Le fait que le psychologue ne soit pas dans la même histoire que vous devient une force : il ou elle peut vous offrir un regard extérieur, neutre, bienveillant, dégagé des projections et des angoisses personnelles. Il ou elle peut accueillir votre vérité, sans chercher à l’aligner sur la sienne.

Alors en ce mois d’Octobre Rose, souvenons-nous que parler, même sans certitude, même dans le doute, peut déjà être un premier pas vers un peu plus de soulagement. Vous méritez d’être entendu(e), compris(e), soutenu(e), que vous ayez ou non les mots pour dire ce que vous ressentez.

 

Si vous souhaitez échanger, poser des questions ou entamer un accompagnement psychologique, n’hésitez pas à me contacter.

Vous pouvez soit remplir ce formulaire,

soit m’appeler ou m’envoyer un message au +33 (0)6 38 13 53 64

Prenez soin de vous.

error: Content is protected !!