Julie Lacrampe

Pistes de Réflexion

Pourquoi aime-t-on se faire peur ?

La peur est une fonction normale de l’organisme, comme la douleur : elle nous sert de système d’alarme face aux dangers de notre environnement. Si ce système est bien réglé, ce qui est le cas chez la plupart des gens ; il ne se déclenche que face aux « vrais » dangers.

Pourtant, lorsqu’elle est maitrisée et que nous nous sentons en sécurité, la peur peut avoir des effets agréables et divertissants. Ce sont ces aspects positifs qui expliquent pourquoi certains apprécient autant les films d’horreur, les manèges à sensations ou encore les sports extrêmes.

Déjà, chez le tout petit, la peur est attirante car elle est une modalité primordiale du sentiment de sécurité. La peur occasionne deux sortes de plaisir : un plaisir immédiat et un plaisir différé. Elle suscite un plaisir immédiat grâce à l’action d’hormones créant un état d’hypersensibilité aux informations venues de l’extérieur. Elle donne lieu à un plaisir différé lorsque nous avons le sentiment, a posteriori, d’avoir surmonté notre peur.

Les enfants adorent se faire peur avec des histoires de loup, de sorcières et autres méchants. En témoignent la grande majorité des contes.

La peur est l'occasion pour l'enfant d'exercer sur lui-même ses propres pouvoirs d'action. Faire activement ce que l'on subissait passivement est l'un des moyens le plus sûr de vaincre sa peur et c'est une épreuve dont l'enfant ne se lasse jamais. C'est ce qui le pousse à jouer de sa propre peur (en aimant jouer à cache-cache, jouer au loup, etc.) et par-là, à la transformer en plaisir.

En regardant sans cesse un dessin animé avec des scènes angoissantes, Blanche Neige de Walt Disney par exemple, les enfants aiment particulièrement la scène qui fait peur : celle où la méchante sorcière apporte la pomme mortelle à Blanche Neige. Au premier visionnage, ils peuvent aller chercher refuge dans les bras d’un de leurs parents. Puis, malgré la peur, ils regardent la scène en entier. Ils testent le pouvoir qu'ils ont sur eux-mêmes. S'ils y parviennent, ils en tirent alors une grande satisfaction due à une impression de puissance, de contrôle sur leur peur et sur eux-mêmes (de ce fait, et la certitude d'avoir grandi).

Le jeu et les contes peuvent donc constituer pour l'enfant un moyen de se délivrer de certaines peurs ou, mieux encore, de transformer la peur en plaisir.

« Tel conte précis peut en effet angoisser l'enfant, mais à mesure qu'il se familiarise avec les contes de fées, les aspects effrayants tendent à disparaître, tandis que les traits rassurants gagnent en importance. Le déplaisir initial de l'angoisse devient alors le grand plaisir de l'angoisse affrontée avec succès et maîtrisée. »
Bruno Bettelheim, extrait du livre Psychanalyse des Contes de Fées (1976). Ed : Robert Laffont

Chez les adultes maintenant, la peur peut permettre de lutter contre l’anxiété. Lorsque nous sommes effrayés nous sommes pleinement conscients, concentrés et dans l'instant. Nous ne sommes pas préoccupés à penser à nos tracas, à ce qui s'est passé hier ou ce que nous avons à faire demain. Ce sentiment permettrait ainsi en quelque sorte de se changer les idées, de quitter sa vie quotidienne l'espace de quelques minutes ou quelques heures. Ainsi, les films d'horreur permettraient de ressentir de fortes émotions qui n'ont pour base que des évènements non réels et d'oublier par là-même d'autres évènements eux bien réels.

Mais ce n’est pas tout ! Tout comme chez l’enfant, le sentiment de peur chez l’adulte peut également être vecteur de bien-être. En effet, lorsqu’un sujet est confronté à une expérience effrayante, une cascade de réactions chimiques se déclenche à l’intérieur de son organisme aboutissant à la diffusion d’hormones comme l’endorphine, la dopamine, la sérotonine et l’adrénaline. Autant de molécules qui procurent plaisir et contentement dans la mesure où la personne se trouve en sécurité. Ces éléments chimiques peuvent parfois nous faire sentir tellement bien, que nous cherchons toujours plus de sensations fortes. Certains présentent même une légère addiction à ces expériences d’épouvantes. Lorsqu’elle est accompagnée ou suivie d'allégement ou de succès (comme par l'accomplissement de quelque chose en dépit des risques), la peur peut conduire à la soi-disant montée d'adrénaline, ce qui est vécu comme positif et peut même avoir une qualité de dépendance.

Enfin, chercher à se faire peur peut représenter une sorte de piqûre de rappel pour s’assurer que nous sommes toujours capables de ressentir de la peur. Mais cela ne procure du plaisir que dans des conditions sécurisées : nous devons savoir que « ce n’est qu’un film », ou, si nous sommes adeptes d’activités à sensations fortes, qu’un élastique retiendra notre chute dans le vide ou qu’une barrière de sécurité nous retient de tomber. Sinon, ce ne sera pas du plaisir, mais de la vraie peur, qui, elle, peut s’avérer destructrice.

Julie LACRAMPE | Psychologue à Autun   Webmaster ©